Tacite

(Publius Cornelius Tacitus)

[ Ç Littérature]

par Chaouzu et Kr0u|\/|

 
4Sa vie

4Ses Oeuvres

   - Le Dialogue des Orateurs

   - La vie d'Agricola

   - La Germanie

   - Les Histoires

   - Les Annales

4Sa Pensée
4Les Sources

Sa vie

Tacite est né à Interamna, Ombrie ou Rome entre 54 et 56 après J.-C. et il mourut vers 120. C’était un grand historien latin. Tacite était issu d'une famille de l'ordre équestre de la Gaule transalpine, cette classe sociale dynamique et prospère qui servait de soutien à l'Empire depuis le déclin des familles patriciennes romaines. Il épousa la fille d’Agricola en 77.

Maîtrisant parfaitement l'éloquence, il fit une brillante carrière politique: questeur, puis préteur (88); toutefois, pour ne pas attirer sur lui l'attention de l'empereur Domitien (81-96), toujours prêt à exiler ou à faire assassiner les personnages illustres de l'Empire, il n'accepta le consulat qu'en 97, sous l'empereur Nerva. Bien que provincial et appartenant à l'ordre équestre, il entra au Sénat sous Vespasien, où il fut consul suffectus en 97 puis proconsul en Asie (110-113). Il acquit une grande réputation d'orateur et étudia la rhétorique avant de se consacrer à l'histoire (vers 98).

En 97, il fut chargé de l’oraison funèbre du consul Verginius Rufus, et en 100, il se fit l’avocat de la province d’Asie contre l’ancien gouverneur Marius Priscus ; Pline le Jeune a souligné l’éloquence et la dignité de ce plaidoyer.

é Haut de page

Ses œuvres

Tacite est à la fois homme de culture et homme d’ordre. Il a été formé à l’école des meilleurs maîtres, Marcus Aper et Julius Secundus qu’il met en scène dans le Dialogue des Orateurs. C’est en écoutant ses maîtres, comme lui Gaulois d’origine, que Tacite a nourri son talent. Comme son ami Pline, il fut un orateur brillant et renommé qui admire Cicéron, mais ne l’imite pas. Il recherche non l’abondance mais la force expressive la plus élevée, ce que Pline appelle la semnotès, mot grec signifiant sérieux, et qui implique une sorte de majesté née de la force même des mots. Ce faisant, Tacite s’adresse, chez son lecteur, à une sorte de conscience supérieure de la beauté du discours : cela s’appelle le sublime.

Sa production littéraire, s'inscrivant dans le cadre de son amitié pour Trajan et Pline le Jeune, était appréciée par le milieu impérial. Tacite fut l'historien officieux du régime, ce qui ne l'empêcha pas d'être aussi un historien critique.

é Haut de page

  De la rhétorique à l’histoire

Avocat brillant, fonctionnaire et administrateur, Tacite n’est venu que tardivement à l’histoire. Le premier ouvrage qu’il publia est un essai de critique littéraire : le Dialogue des Orateurs. Tacite s’achemine dès lors vers l’histoire. Il l’aborde en homme d’expérience que les événements contemporains ont fortement frappé et qui a appris à travers eux à connaître les hommes. L’histoire répond aux préoccupations sérieuses qui ont toujours été les siennes, lui offre le moyen de continuer à servir l’Etat en signalant son affaiblissement intérieur, les dangers qui le menacent ; il trouve en elle en même temps la forme d’art qui convenait le mieux à son génie.

L’œuvre historique de Tacite repose sur une information solide. Il avait à sa disposition les travaux ou les mémoires d’écrivains antérieurs, des documents officiels (le journal de Rome, Acta diurna populi Romani, et les archives du sénat, Acta senatus), les lettres et témoignages oraux des contemporains. Il savait contrôler ses sources, choisir entre elles, sans se plier d’ailleurs à une méthode rigoureuse, et, quoi qu’on en ait dit, il ne manque pas d’impartialité. Sa devise était fides incorrupta. Mais son but est plus moral que scientifique. Il ne vise pas à être complet. Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les questions économiques, sociales, mais les drames de la cour impériale, les acteurs de ces drames, l’éveil du monde barbare. Il lui était difficile aussi, en rapportant des faits presque contemporains, de rester étranger à ce récit. Sa sensibilité, son imagination l’entraînent souvent à des interprétations personnelles. Ses préoccupations littéraires le poussent parfois à façonner suivant son goût la réalité. Ces libertés peuvent nuire un peu à la valeur historique de l’œuvre, mais non à sa vérité humaine ni à sa beauté artistique.

Au service de la psychologie, Tacite met en place un art très original qu’il n’a cessé de perfectionner de l’Agricola aux Annales. Il est peintre aussi parce qu’il a le sens du concret, qu’il fait voir les choses. Ses récits se transforment en tableaux qui visent à nous émouvoir, mais parlent aussi à notre imagination. On a parfois reproché à Tacite une recherche excessive de l’effet ; on est en effet saisi par sa sobriété qui n’enlève rien à la puissance suggestive de l’évocation. Son style se plie à tous les mouvements de sa pensée. Il perd vite sa couleur oratoire, ou du moins l’éloquence de Tacite est l’opposé de l’éloquence cicéronienne. Sa phrase est variée dans sa structure, dans tous les éléments, elle est concise, jusqu’à l’obscurité parfois, toujours vigoureuse. Ce style est aussi poétique : Tacite, plus que les contemporains, a imité les poètes dans son vocabulaire, sa syntaxe ; il aime le pittoresque, les métaphores brusques et éclatantes, il peint par sa phrase même, par la place des mots.

é Haut de page

  "Le Dialogue des orateurs"

On a hésité quelquefois à attribuer le Dialogue des orateurs (dialogus de oratoribus) à Tacite, mais tous les manuscrits le mettent sous son nom. L’ouvrage fut sans doute composé en 80 ou 81, au moment où Tacite était encore entièrement tourné vers l’éloquence et publié peut-être dans les années suivantes.

Tacite adresse le Dialogue à Justus Fabius, qui lui a demandé les causes du déclin de l’éloquence. Il rapporte, à la manière cicéronienne, un entretien auquel il assista en 75 entre le poète Maternus et les orateurs Marcus Aper, Julius Secondus (ses deux maîtres), Vipstanus Messala. Le Dialogue ne répond pas immédiatement à la question posée. Dans une première partie Aper et Maternus discutent avec la chaleur des mérites respectifs de l’éloquence et de la poésie. Dans une seconde partie, en recherchant si l’éloquence est en décadence, les interlocuteurs opposent les modernes aux anciens. On en arrive enfin aux causes du déclin de l’éloquence, le relâchement moral dans l’éducation, la médiocrité de l’enseignement des rhéteurs, la perte de la liberté politique et les conditions nouvelles sociales.

é Haut de page

  "La Vie d’Agricola"

La vie d’Agricola (de vita julii agricolae) parut en 98, cinq ans après la mort d’Agricola, beau-père de Tacite, qui fut un des conquérants de la Bretagne (la Grande-Bretagne actuelle). L’œuvre se présente à la fois comme un éloge funèbre et un essai historique sur la Bretagne, sur ses habitants et sa conquête. C’est aussi un manifeste contre la tyrannie de Domitien, assassiné en 96.

S’il fallait retenir deux idées principales de ce livre, elles tiendraient l’une et l’autre à l’approche originale que Tacite fait du phénomène de la conquête impérialiste. Il s’intéresse en géographe et en ethnologue -comme dans la Germanie- à ces Barbares, attaqués par l’expansion romaine en tenant compte du point de vue des conquis et non seulement de celui des conquérants. Quelles raisons auraient-ils d’accepter passivement la servitude ? La conquête assure la force et la gloire du peuple romain, mais peut-elle prétendre assurer le bonheur des vaincus ? Tacite faite preuve de beaucoup de lucidité en soulignant qu’Agricola pratique une politique d’assimilation culturelle.

é Haut de page

  "La Germanie"

En 98 paraît également la Germanie ou Sur l’origine et le pays des Germains, petit ouvrage d’actualité (Trajan fortifiait la frontière du Rhin), mais dont le caractère est plus nettement historique, ethnographique. C’est une description des différentes tribus vivant au nord du Rhin et du Danube. Tacite s’inspira nettement d’auteurs antérieurs comme Tite-Live ou Pline l’Ancien. L’amour de la liberté des Germains, leur vigueur, leur bravoure sont opposées à la corruption sévissant à Rome.

Ces deux œuvres sont l'occasion d'une étude sociologique sur les «Barbares».

é Haut de page

  "Les Histoires"

Les Histoires (publiées en 106), qui décrivaient l'Empire de 69 à 96 (c’est à dire les règne de Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus et Domitien). De cette œuvre, il ne nous reste que les quatre premiers livres et la moitié du cinquième, qui couvrent les années 60-70.

Tacite avait une vision pessimiste de l’histoire et tenait des propos déconcertants. La première page des Histoires est édifiante : « J’aborde l’histoire d’une époque riche de malheurs, défigurée par les combats, déchirée par les séditions, cruelle dans la paix même : quatre princes massacrés par le fer, trois guerres civiles, plus encore de guerres étrangères, et la plupart du temps, les unes et les autres à la fois… » Suit une effrayante revue d’échecs, de drames et de perversions. On attend l’antithèse, le contrepoids des vertus : «Cependant, ce siècle ne fut pas stérile en vertus au point de ne produire aussi de bons exemples… » Mais quels bons exemples ! « Des mères accompagnant leurs fils dans la fuite, des épouses suivant leur mari dans l’exil […] la loyauté des esclaves même face aux tortures […] des trépas d’hommes illustres dignes des morts des anciens » Et c’est par une formule sans appel que Tacite tire la leçon de ces temps abominables : « Les dieux, indifférents à notre sauvegarde, n’ont souci que de notre châtiment. »

On pourrait y voir une galerie de portraits animés par des acteurs qui incarnent différents aspects du pouvoir sans parvenir à dominer le cour des événements. L’art de l’historien consiste à inscrire dans le cadre traditionnel de l’annalistique une vision complexe et dramatique des événements. Il se complait à décrire l’orage, la fermentation des évènements, le spectacle sublime des situations extrêmes. Tyrans ou victimes, les protagonistes ne sont après tout que le reflet des foules qui les portent puis les condamnent « La populace l’accablait d’injures, après sa mort, avec autant de bassesse que, de son vivant, elle l’avait adoré ». Une des passions de Tacite est la fascination des spectacles de mort. Lorsque Rome est envahie par les troupes de Vespasien, le peuple de la Ville assiste aux combats comme un à spectacle de cirque. Et la description que donne Tacite de cette scène extraordinaire est elle-même imprégnée de cette fascination de l’horreur qui caractérise sa peinture des évènements. Le pittoresque de Tacite, c’est l’art de faire percevoir la monstruosité des êtres, des situations, des spectacles.

é Haut de page

  "Les Annales "

Les Annales (écrites vers 115-117), constituent, sans doute, sa grande œuvre historique. Celle-ci devait comporter seize livres, retraçant les années 14 à 68, c’est à dire les règnes de Tibère, Caligula, Claude, et Néron. Seuls nous sont parvenus les livres I à IV, un fragment des livres V et VI (sur Tibère) et les livres XI à XVI (deuxième partie du règne de Claude et quasi-totalité de celui de Néron). Tacite puisa ses sources dans les ouvrages d’autres historiens, dans les registres publics et parfois dans sa propre expérience. À la fois historien et moraliste, Tacite y dépeint avec pessimisme, comme pour les Histoires, dans un style d'une saisissante concision, les mentalités et les mœurs des hommes de son temps.

Nous retrouvons dans les Annales la manière littéraire des Histoires, mais l’approche des évènements politiques est sensiblement différente. Tacite tourne essentiellement ses regards vers la politique intérieure, et l’équilibre traditionnel entre « ce qui se passe à Rome » et « ce qui se passe à l’extérieur » n’est pas respecté.

é Haut de page

Sa pensée

Étudiant les causes du déclin de l'éloquence à Rome, il introduit la liberté comme élément d'explication, et tend à montrer que le régime impérial, en limitant la liberté politique et en subordonnant le talent des orateurs à la louange de l'empereur, déplace et pervertit la fonction de l'éloquence. Au temps de Cicéron, la rhétorique était un moyen d'arriver au pouvoir ; sous Trajan, seule une rhétorique déférente permettait de s'assurer les bonnes grâces de l'empereur, donc un certain pouvoir. Le discours de Tacite est teinté d'un regret du temps de la liberté. Cette critique subtile fut tolérée par le régime de Trajan, qui se voulait libéral pour faire oublier le despotisme de Domitien.

Tacite avait une ambition de moraliste. Il s'intéressait à la psychologie, il explorait donc les mobiles des hommes plus qu'il ne recherchait les causes profondes des événements. Il était apprécié pour son style vif et concis.

Le récit des campagnes d'Agricola en Bretagne, et la compilation des récits des campagnes romaines en Germanie permettent à Tacite de brosser un tableau socio-historique de ces populations frontalières qui, à partir du moment où l'on commence à s'y intéresser, n'ont de barbare que le nom. Dépassant les préjugés traditionnels, Tacite tend à reconnaître l'existence de cultures et de sociétés non romaines. Cette reconnaissance indirecte de la spécificité des Bretons et des Germains détruit l'image d'une barbarie homogène se définissant par opposition à la culture méditerranéenne.

Tacite a été un grand peintre par sa vision dramatique de l’histoire, par le relief des personnages qui animent ses drames. Il avait le goût de l’analyse psychologique : de toute son œuvre se détachent des portraits vivants et saisissants parce qu’ils se dégagent peu à peu des faits, des gestes, des paroles ou des discours. Ce sont des individus fortement caractérisés comme les princes dont chacun a sa physionomie propre, des passions dont nous pouvons suivre l’évolution ; ce sont aussi des foules, la plèbe romaine avilie, veule et cruelle, les soldats qui font et défont les empereurs, en face d’eux les Barbares, dont Tacite observe curieusement la force jeune et indisciplinée. A travers les traits particuliers, il atteint vite dans son analyse les caractères permanents de l’âme humaine, dont il scrute les replis avec pénétration, finesse, un peu trop de subtilité parfois : il est naturellement porté à soupçonner partout le mal, l’hypocrisie, mais ce pessimisme qui donne à sa peinture une teinte un peu sombre n’est pas systématique et s’allie bien à sa profondeur.

En conclusion, on pourrait peut-être parler, pour décrire l’œuvre de Tacite, d’une « comédie inhumaine ». Plus qu’un historien, il est un écrivain ; plus qu’un narrateur, il est un dramaturge. Tacite semble toujours aller au-delà des frontières du genre. Il écrit somptueusement : il déteste autant fadeur et enflure, et accorde son style aux plus hautes exigences de l’expressivité. Non sans violence quelquefois, il impose la force des mots, chaque sentence sonne comme une revanche. Ici, sans doute, la revendication du style rejoint celle du penseur : dans un monde ambigu et meurtri par le doute, la vraie noblesse a des traits insolents.

é Haut de page  

Les sources

  • Les lettres latines de Moricet Thevenaut
  • Les genres littéraires à Rome de R. Martin et J. Gaillard
  • Le guide romain antique de G. Hacqard

    é Haut de page